- Anne Laure Murcier -
Deux jours après notre arrivée à Leh, j’aperçu Lama(1) Sonam debout dans l’entrée de la Shanti guesthouse où nous séjournions. Il téléphonait.
D’un coup, mon esprit se transportait dans l’Himalaya, je voyais les montagnes, la neige, l’espace, je respirais l’air frais et léger, la clarté et la lumière, dans le silence, j’entendais les trompes et les cymbales d’un monastère ; en un clin d’œil, je me trouvais devant Foudre Béni dans Tintin au Tibet.
Ce n’était pas Foudre Béni qui se tenait devant moi, mais bien Lama Sonam dans son habit de moine rouge bordeaux, un large sourire, des pommettes saillantes, le menton déterminé, deux yeux noirs perçants, pétillants de vivacité dans un visage bien typé et ouvert.
C’était un homme de 1,60m, la cinquantaine environ, bien campe sur ses jambes. Au-dessus de sa robe de moine, il portait une veste polaire rose-mauve de marque « Millet », marque prisée des montagnards. Sur celle de lama Sonam, 2 yeux de Bouda brodés sur le cote gauche, côté cœur, donnait à cette veste une empreinte locale. Bien enfoncé sur la tête, il portait le bonnet rouge traditionnel, typique de la branche du bouddhisme des « bonnets rouges » répandue au Zanskar. Fabriqué en polaire, pointu sur la tête, le bonnet comporte deux « oreilles » qui retombent ou se redressent de chaque côté du visage. Aux pieds, des baskets, autour du cou, ses lunettes d’alpiniste, sur l’épaule, en bandoulière, un sac en tissu jaune avec l’œil de Bouda, à la main son téléphone portable dans un étui rose-rouge, autour du poignet, le chapelet.
Je souriais en le voyant, il me plaisait, d’emblée je ressentais de la sympathie pour lui, il attisait ma curiosité.
Mais, derrière son habit de moine, qui était Lama Sonam ?
Assis sur les banquettes de la salle à manger de la Shanti guest-house, autour d’un tchaï bien chaud, préparé par Maya, nous nous sommes présentés et avons discuté de notre périple. Il parlait d’une voix tranquille et claire, notre conversation, entrecoupée de rires, se déroulait de manière décontracte, spontanée, dans le plaisir de la découverte.
Sonam nous dit qu’il appartenait au monastère de Karsha, le plus grand du Zanskar avec environ 60 moines. Situé à 3500 m, la piste pour aller à Karsha, passe par le col du Pense-la à 4 400 mètres d’altitude. De début novembre à fin avril, la piste est fermée à cause de la neige, le seul moyen d’arriver à Karsha est de passer à pied par la rivière du Chadar complétement gelé … ce qui nécessite au moins une dizaine de jours de marche dans des conditions très difficiles. Pendant 6 mois, les habitants et les moines vivent coupés du monde.
Lama Sonam organise des treks au Zanskar, il a commencé avec l’association française Alibert, pour laquelle il était aussi guide. Maintenant, il travaille de bouche à oreilles. L’argent des treks, versé au monastère, permet de donner du travail aux jeunes du village, d’apporter un peu de confort aux moines et d’améliorer la vie des 700 habitants de Karsha. Déjà venu en France, il parle un peu français.
Avec nous, il parle surtout anglais et a très vite compris ce que nous voulions. Nous nous sommes vus deux fois. La première fois pour valider ce que nous souhaitions et les modalités. « no problem », il pouvait trouver le guide, les cuisiniers, les chevaux et les ânes, préparer tout le matériel de bivouac ainsi que la nourriture. Nous pouvions partir dans deux jours.
La deuxième fois, nous avons voulu négocier le tarif, il a été ferme et direct ; c’était tant, paye cash, en roupies, tout de suite !!!. Nous avons accepté ses conditions…. A cet instant, sa manière de s’exprimer me semblait tout à coup réactive et sans concession, et m’a un peu interloquée. Sous l’habit du moine, je découvrais une autre facette de Lama Sonam, un professionnel efficace et déterminé.
Le lendemain, après nous avoir présenté Dorjay, notre guide, nous partions de Lhe et commencions la traversée de la vallée du Sham, entre 3500 et 4000m. Nous poursuivrions, si tout allait bien, par la traversée du Zanskar où plusieurs cols sont à plus de 5000 m. Tout était parfait.
Sonam nous a accompagné jusqu’à notre première étape, Likir.
Sur le chemin, nous avons découvert l’endroit où le Zanskar se jette dans l’Indus, puis nous avons visité Basgo Gompa, forteresse du XV et XVI siècle comprenant trois monastères. Que ce soit devant le Zanskar ou devant les sculptures, les tangkas et les peintures murales des monastères, Sonam avec simplicité et naturel nous racontait l’histoire du pays, du boudisme….fier d’être zanskari, il se révélait fin connaisseur du boudisme et pédago.
Arrivés à Likir, Sonam nous a quitté simplement, les mains jointes devant la poitrine, en baissant un peu la tête, un sourire, un mot « julley ». Il partait rejoindre le Dalai-Lama pour 3 semaines d’enseignement. Nous ne l’avons pas revu ….
Arrivées à Karsha, nous avons dormi chez son frère. Il habitait en dessous du monastère, une maison très sombre avec quelques adultes et enfants. Elle respirait la misère, sentait mauvais, tellement sale qu’au petit matin nous n’avons pas voulu rester.
Je me suis dit, c’est de là que vient Sonam ????
J’ai passé trop peu de temps avec Sonam…. Pourtant sa manière d’être, présence tranquille, clarté d’esprit, ouvert, engagé, cultivé, pédago m’a impressionnée….me laisse perplexe. Comment un gamin d’un village perdu dans l’Himalaya a-t-il pu faire un tel cheminement ?
Dorjay nous avait expliqué que ces deux sœurs étaient nonnes, par choix…. « une fille au Zanskar a deux possibilités, se marier ou devenir nonne…. aller au monastère lui permet d’étudier, peut-être même de quitter le Zanskar et de voyager à l’étranger.... »
Je commence à découvrir la place du boudisme avec ses rituels, ses moines et ses monastères dans la société. Son rôle dans l’organisation sociale du Zanskar, Dans les familles, l’ainé reprend les terres, le second devient moine et les autres partent ailleurs faire du commerce ou dans l’armée…. les moines se consacrent au bien de la société, ils étudient, prient, éduquent, prennent soin des habitants, en échange la société les nourrit, c’est un système…..une question d’équilibre.
Le Zanskar, pays de 14000 habitants, très isolée, aride n’a pas beaucoup de terres cultivables pour nourrir ses habitants, alors peut-être faut-il aussi limiter les naissances ? Même si les moines peuvent en principe se marier, la plupart restent célibataires. Le Zanskar pratique la polyandrie, l’ainé garde les terres, se marie, si un des frères veut rester sur les terres familiales, c’est possible, ils travailleront ensemble mais il prendra la même femme que son frère ainé, pour ne pas diviser les terres…. Il me semble que la société zanskarpa fonctionne comme un organisme vivant dans lequel chaque membre est en interdépendance avec les autres. Je commence à comprendre concrètement la fonction sociale du religieux dans la société.
Comments