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Photo du rédacteurFrancis Ginestet

LE COURS DE GYMNASTIQUE

Dernière mise à jour : 10 déc. 2019

- Dominique Sultan,

Extrait de « Un couvent laïque : mon lycée diabolo menthe » -



Mais la plus inoubliable est sans doute notre professeur d’éducation physique, Madame Ponsonnet. Pas plus que ses collègues des matières « intellectuelles », elle ne se donne la peine de démontrer elle-même les exercices : cette mission est déléguée à une élève « forte en gym » ; d’ailleurs, elle aurait du mal à démontrer le moindre mouvement, engoncée qu’elle est dans son manteau de vison , juchée sur des talons aiguille et coiffée d’un turban à la Simone de Beauvoir ! Exactement comme dans le film « Diabolo Menthe » !

Comme dans le film, les cours commencent souvent par l’examen des billets d’excuse de celles qui souhaitent être dispensées pour une séance. D’un air gêné, elles tendent au professeur leur bout de papier en bredouillant quelques mots à mi-voix : « …pas bien ces jours-ci…indisposée… » Bref, elles ont leurs REGLES ! Ah ! mais c’est un mot qu’on ne prononce pas comme ça, à cette époque-là, même entre femmes, surtout dans un couvent laïque ! J’ai même entendu un jour une couturière demander à ma mère d’un air de conspiratrice si elle avait « ses affaires », sa taille ayant pris quelques centimètres. Outre la malcommodité matérielle des serviettes lavables, à la main bien sûr, et à l’eau froide pour que le sang ne se fixe pas sur le tissu, les règles sont entourées d’un tas de légendes carrément moyenâgeuses : ne pas se baigner, ce serait dangereux, ne pas tenter de faire une mayonnaise ces jours-là, elle serait immanquablement ratée !

Il faudra l’arrivée d’une jeune prof dynamique et moderne , en Terminale, pour couper court à ces légendes obscures et à ces stratégies de flemmardes en nous annonçant simplement : « Les règles, ce n’est pas une maladie ! »

Mais pour l’heure, en cette belle matinée de printemps, suivie de sa classe ainsi allégée des « indisposées », Madame Ponsonnet, toujours avec son sifflet, son vison et son turban, nous entraîne jusqu’à la « Cour des Palmiers », située au fond du Lycée, et donnant sur une rue secondaire peu fréquentée à cette époque . C’est là qu’elle compte nous administrer une heure d’exercices au sol. Arrivées sur place, nous déroulons mollement nos tapis pour exécuter, sans excès de zèle, les assouplissements, pédalages et autres abdominaux que Mme Ponsonnet se contente de ponctuer de quelques consignes orales scandées de coups de sifflets. Couchées sur le dos, nous sentons nos jambes nues caressées par le soleil printanier, on savoure ce moment ; mais soudain, que se passe-t-il ? le sifflet de Mme Ponsonnet s’emballe, quelques rires étouffés fusent çà et là , on bouge avec moins d’ensemble ; on lève les yeux et on voit…une scène à la Louis de Funès ! A califourchon au sommet du haut mur protecteur, un , puis deux, puis huit garçons de notre âge qui « reluquent »  sans vergogne nos jambes, nos cuisses, et font des commentaires. (A l’époque, la mini-jupe n’existe pas mais pour la gym, on porte un short…) Pire : ils se mettent à interpeller quelques-unes d’entre nous par nos prénoms : bon sang, mais c’est bien sûr ! il y a là le frère de la meilleure amie de ma sœur, plus d’autres copains que nous ne connaissons que trop : c’est avec eux que nous dansons à nos « boums » le dimanche après-midi ! Catastrophe ! Marie-Françoise rougit jusqu’aux oreilles, Marjorie regarde ailleurs, je me concentre sur l’exercice en cours, partagées que nous sommes entre le fou-rire et la gêne ; gêne d’avoir été surprises dans cette posture peu avantageuse, gêne ou plutôt légère inquiétude car cette proximité manifeste avec ces garçons effrontés ne restera pas ignorée en haut lieu, c’est sûr. Dans notre couvent laïque, il n’en faut pas plus pour encourir les foudres de la Directrice, Madame Durand. Je me souviens du jour où elle m’avait sèchement rappelée à l’ordre alors que j’étais étendue sur un banc à la fin d’un cours de gym, précisément. Ne l’ayant pas vue venir, je n’avais pas pu me mettre au garde à vous sur son passage.

Enfin Madame Ponsonnet, poursuivant les intrus de ses coups de sifflet vengeurs réussit à les faire déguerpir, mais … le Mal est fait !

Quelques autres petites anecdotes –à coup sûr étonnantes pour les enfants d’aujourd’hui- donneront une idée du climat de notre « couvent laïque ».Nous devons être en cinquième, et je me débrouille plutôt bien en allemand : en récupérant ma copie, je découvre ma note, zéro, alors que mes exercices, dont je viens de suivre la correction, sont entièrement justes. Assez révoltée, je demande des explications au prof : c’est vrai, tout est juste, mais c’est mon écriture qui ne lui plaît pas : trop maladroite, avec de l’encre qui a bavé par ci par là. Comme je proteste encore, elle me met illico une retenue en promettant d’en parler au professeur principal qui s’empresse de me mettre à son tour un « zéro de conduite ».

Plus tard, en troisième, ou en seconde, ou en première, autre cours d’allemand. Mademoiselle Marx ne plaisante pas avec les impératifs de son enseignement. Plusieurs fois par semaine, nous avons cours avec elle, toujours dans la même salle, de dix heures à onze heures trente, en principe… En fait, le cours dure jusqu’à midi. Mademoiselle Marx est jeune, originaire de la Lorraine germanophone, pleine d’énergie. On murmure qu’elle est la plus jeune agrégée de France, qu’elle serait née en camp de concentration… En attendant, avec elle, pas moyen de ne pas apprendre, tant elle exige de nous, tout au long de ces deux heures, une attention sans faille. La preuve : même moi qui ne fais strictement rien à la maison, je réussis. Ma « mémoire d’éléphant », sans doute. Dès que Mademoiselle Marx, pose une question, j’ai la réponse . Bien entendu, il n’est pas concevable de prendre la parole sans autorisation ; j’attends donc patiemment, bien droite, bras croisés sur mon bureau, que Mademoiselle Marx ait fini de « cuisiner » tour à tour une bonne dizaine de mes camarades, en commençant par les plus faibles. Ca peut durer…et ça dure. Et alors, oubliant toute discipline, sans doute engourdie par l’ennui, j’ai l’audace de tourner un peu la tête vers le mur latéral pour contempler les grands posters de villes allemandes qui le décorent. Rappel à l’ordre immédiat. Comble d’insolence, je réplique que si les posters sont là, c’est sûrement pour être regardés ! Je ne me souviens pas de la sanction, mais elle a dû être sévère.

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