- Patricia Chadelas -
Voyage a toujours été pour moi un mot magique.
J’ai toujours aimé les récits de voyages, de découvertes, d’aventures. J’ai toujours eu envie de voyager, de faire de grands voyages.
Petite, je découpais dans les magazines de ma grand-mère des récits et des photos que je collais dans un cahier. Je rêvais de devenir infirmière pour partir travailler en Australie, plutôt qu’hôtesse de l’air car je n’avais pas la bonne taille.
Sans le savoir j’attendais un fait déclencheur…
Par hasard, lors d’une sortie en voilier au large de Palavas les flots, j’ai trouvé à bord un livre d’Antoine, le chanteur « grand voyageur ». J’ai littéralement dévoré son récit et j’ai débarqué en me disant « il faut faire le tour du monde en voilier ». Je l’ai fait.
De nombreux voyages plus tard, je ne suis toujours pas rassasiée et je ne déplore qu’une chose : ma vie sera trop courte pour toutes les destinations qui m’appellent.
Mais je n’aime pas les voyages courts, cela me fait sentir plus touriste que voyageur.
Ce que j’aime c’est avoir le temps de vivre dans d’autres lieux, de découvrir comment les gens vivent, les rencontrer, vivre à leur rythme, aller au marché comme eux, partager des bouts de vie.
Pourquoi cette envie de voyager en moi depuis aussi longtemps ?
Pour découvrir de nouveaux horizons, paysages, villes, personnes, civilisations ?
Une réponse bien banale, superficielle, par rapport à mon ressenti.
Alors encore une fois Pourquoi ?
Parce qu’ainsi je me sens particulièrement vivante !!!
ETE 2018 - LA SCANDINAVIE EN VELO… JUSQU’AU CAP NORD.
Le vélo est particulièrement efficace pour se sentir vivante. Il donne le temps d’admirer, de contempler, de ressentir, de s’imprégner de tout ce qui entoure comme sur un voilier… mais sur terre.
Rouler en Norvège jusqu’au cap Nord avec Michel, une aventure qui m’a attirée pour vivre au plus près d’une nature et d’hommes que je pressentais exceptionnels.
Je confirme.
En selle pour un long périple et de nombreuses, très nombreuses pauses café.
La pause-café : une institution norvégienne.
Rien ne résume mieux le style de vie norvégien que la pause-café. C’est pour eux un moment privilégié dédié à la sérénité que ce soit au bureau, à la maison, dans un salon de thé ou en plein air.
Cela peut ne prendre que 15 minutes comme trois quart d’heure. Ils appellent cela « faire fika ».
J’ai vite adhéré au point que dès la mise en selle du matin, un objectif s’imposait : trouver un lieu pour « faire fika ».
Fika dans un abri bus.
Comme sur l’ile de Langøya, dans l’archipel des Vesteralen. Les nuages ont envahi le ciel. La température a baissé, le vent du sud souffle, mais c’est dans le dos, alors il est le bienvenu. Toutefois cette petite pluie froide est de trop et il est temps de déjeuner. Nous cherchons un coin abrité pour pique-niquer. Quoi de mieux qu’un abri bus au milieu de nulle part ? Celui que nous trouvons aujourd’hui sur notre route, est face à 2 maisons. Il est en ciment, il n’a pas de banc, mais nous y sommes bien installés. Il peut continuer de pleuvoir, les vélos se mouillent, mais nous, nous sommes au sec. Alors que nous avons tout déballé, un homme sort d’une maison et depuis l’autre côté de la route nous demande si nous voulons du café, du thé ? C’est gentiment demandé et en français en plus. Nous acceptons. Et quelques minutes plus tard, il nous apporte un plateau avec théière, pot de café et de jolies tasses. Nous discutons un moment. D’où est-il originaire ? D’Arménie. Non, le soleil ne lui manque pas. Il a trouvé un travail intéressant, il a fait construire sa maison. Il est heureux. C’est un moment typique et sacré au cœur des scandinaves que nous vivons. Scandinave ou oriental ? Car nous nous souvenons des thés offerts en orient. Ces pays diamétralement opposés ont les mêmes coutumes face à cette tradition de convivialité et de partage. Nous nous réchauffons les mains et le cœur autour de cette tasse de café au parfum revigorant.
Fika au supermarché.
Les maisons sont dispersées dans cette nature sauvage. Chacun peut se sentir seul au monde. Soudain un mini supermarché. Ils sont petits dans ces contrés, mais il y a toujours au moins une table et 2 chaises dans un coin près de la caissière. Il bruine mais la météo annonce une amélioration pour les prochaines heures. Appuyé contre le mur devant l’entrée, le vélo de Sarah, une écossaise avec qui nous avons partagé la route, quelques jours plus tôt. Assise, elle prépare son itinéraire grâce au wifi. Nous sommes contents de la retrouver. Il n’y a que nous trois. La caissière est souriante, le lieu chaleureux et accueillant, petites tables rondes, fauteuils rembourrés, pots de fleurs, rideaux aux baies vitrées. Je vais dans les rayons chercher les spécialités norvégiennes : le kannelbullar (brioche à la cannelle ou à la cardamone recouverte de grains de sucre, le skolbuller (brioche fourrée à la crème pâtissière saupoudrée de noix de coco râpée.) Je passe devant l’l’employée pour lui signaler que je les apporte à mon mari, que nous prendrons un café, et que je payerai le tout après avoir fait mes courses. Pas de problème ! Prenez votre temps. Les scandinaves sont calmes, jamais stressés. Je finis, je règle et je vais retrouver Michel. 10 Nok (1 euro) pour le café disponible sur une desserte, sucre, lait à volonté. Et pour le prix on peut se resservir. Nous en profitons pour bavarder avec Sarah et la caissière. La pluie s’arrête, nous repartons.
Fika au passage à niveau
Les kilomètres s’accumulent, aucune possibilité de café ne se présente. En l’absence de notre dose journalière de caféine et de sucre, notre estomac gronde, nos yeux papillotent. Une voie ferrée, un passage à niveau, un quai. 2 femmes sont devant une petite maison qui semble être celle du garde barrière. Nous demandons où nous pouvons boire un café… Nous apprenons qu’il n’y a rien avant de très nombreux kilomètres, mais une des femmes nous invite à venir chez elle. Nous voilà assis dans le jardin, des coussins sont gentiment glissés sous nos fesses, un plateau arrive : café, lamelles de fromage, petits toasts salés. Nous voilà bavardant, voyage, camping-car, la vie de l’une d’elle, athlète para olympique reconverti dans le métier de tapissière.
Comme à chaque fois, nous ressentons un sentiment de bienêtre, de plénitude en buvant notre café en bonne compagnie.
Il nous est même arrivé qu’en l’absence de machine dans un supermarché ’il nous en soit proposé un venant de leur « fikarum », leur thermos personnel. Là nous n’avons pas osé accepter. C’était surement une erreur de notre part.
Fika sur le ferry.
Sur le ferry, sitôt à bord, les scandinaves se précipitent sur le coin snack pour un café avec une viennoiserie ou une saucisse et ce quel que soit le temps de la traversée. La première fois, nous avons cru qu’ils faisaient la queue pour régler le voyage et nous nous sommes mis derrière eux. Mais non, ce n’est qu’une fois assis devant leur fika, que l’employé sillonne le bateau pour encaisser le ticket de transport.
Fika au-delà du cercle polaire
Une heure de traversée. Ce 11juillet, nous franchissons le parallèle 66° 33’, ligne invisible mais magique qui détermine le cercle polaire arctique. La sirène du bateau qui relie KILBOGHAMN à JETVIK, retentit à son passage. Sur le petit îlot de Vikingen, un globe terrestre représenté par des cercles emmêlés est scellée.
Pour nous réchauffer, nous fêtons l’évènement en buvant … un café
Le vent souffle en rafales. Les nuages, gris, blancs, filent à toute allure dans le ciel d’un bleu profond, le drapeau norvégien claque, les mouettes criaillent. Mes cheveux volent aux grés de la brise du large, humide, dans mes yeux et devant l’obturateur de l’appareil photo. Nous nous accrochons à la rambarde froide et mouillée par les embruns pour admirer la nature sauvage.
Clic clac ! Je photographie ces instants de bonheur, la majesté du glacier au loin, une cascade, les sommets escarpés, la petite plage de sable blanc.
Un panorama presqu’irréel !
Au-delà de cette ligne, le soleil ne se couche jamais en été. Impossible de se fier à lui pour estimer l’heure, les repères sont bouleversés, invisibles. Vivre sans nuit est agréable, les journées s’étirent à l’infini. Point d’heure pour arriver et monter la tente. Sans montre nous nous retrouverions à rouler encore à 11 heures du soir, ou à boire un café, alors que demain et les jours suivants sont identiques. Pas de stress de se retrouver dans le noir de la nuit. Une impression de liberté. A minuit, le soleil frôlera l’horizon pour repartir aussitôt dans sa course effrénée. Il me semble étirer le temps, et me remplit d’énergie.
Arrivée au camping en tee-shirt, à 21h nous dinons, toujours sans rajouter une petite laine. Cela parait incroyable sous ces latitudes. La chaleur est douce, la vie est douce.
La tente est dressée sur le bord du fjord, au loin des montagnes encore enneigées. Un panorama grandiose à nos pieds.
Il est 22 heures, seuls les moucherons qui ne piquent que moi nous forcent à aller nous réfugier dans la tente. Pourtant il fait si bon, si jour, que nous n’avons pas envie d’aller nous coucher. Le soleil transperce la toile de la tente. Mes pensées se bousculent dans ma tête.
Je reviens sur mes pas à la découverte de la vie d’Amundsen au musée d’Oslo. A ses bateaux, le Fram et le Gjoa, que j’ai arpentés de la cale au pont, dans des odeurs persistantes de moteur. Rien n’avait changé, ni l’étroitesse des cabines et de ses couchettes, ni le parfum d’aventure et de découverte que je ressentais encore dans le bureau du capitaine. L’odeur de café flottait dans le coin cuisine. Je l’imagine, vêtu de toile lourde ou de vêtements faits de peaux de phoques, naviguant au large, en route pour découvrir le pôle Nord. Quel immense bonheur d’être le premier. Je ressens une admiration sans borne pour cet homme hors du commun.
Le lendemain, en nous levant, un brouillard dense nous enveloppe. Plus aucune visibilité, où sommes-nous ? Avons-nous rêvé le jour précédent ?
26 ferrys, 90 jours de voyage et autant de fika.
Rouler en Norvège jusqu’au cap Nord, c’est aimer la solitude des grands espaces. Cette immensité toujours présente partout, dans les fjords, les montagnes. Croiser la nonchalance d’un troupeau de rennes sur la route, au milieu d’un paysage de toundra. Comprendre qu’il est possible de respecter la nature, de profiter de sa beauté même en la côtoyant quotidiennement. Possible de dresser en haut d’un mat dans son jardin le drapeau de son pays pour le simple plaisir de le regarder flotter au vent et pour signaler sa présence.
De décorer ses rebords de fenêtre pour soi, mais aussi pour le plaisir des passants.
De ne pas s’énerver, respecter l’espace de chacun.
Profiter de la vie, du temps qui s’écoule doucement, des petites choses du quotidien qui prennent beaucoup d’importance.
Ce voyage sitôt fini, je pense au prochain. Toujours à vélo, nous irons arpenter les petites routes qui bordent la mer Baltique. Vélo et Europe du nord, la belle vie.
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